Encore mal connu mais en pleine redécouverte, notre peintre, exactement contemporain de Bonnard, nous a laissé une délicieuse esquisse très proche d’un et même de deux tableaux.
Lépine choisit ses accessoires : la maison, le jardin, et la Table.
Il préfère n’introduire aucun personnage : c’est pour nous qu’il dresse la Table, pour nous faire partager son espace de jeu entre la lumière et l’ombre.
La Table, vouée à l’ombre, reste pour moitié en attente. L’essentiel de la composition est cette coulée de lumière qui la traverse depuis le haut de la porte jusqu’au bas de la nappe, et qui contourne la Table comme un ruisseau contournerait un rocher. Le contraste de lumière et de couleur organise l’ensemble : le jaune solaire , rehaussé jusqu’à l’orange et l’aubergine, et le bleu de l’ombre rompu jusqu’au gris ; la chute finale de jaune et de bleu est la partie la mieux achevée de l’esquisse.
On ignore si la porte se détache d’un mur ou d’une végétation, la table reste en apesanteur, et tout s’évanouit ensuite dans une brume de feuillage ; Shitao ne pourrait être surpris que par la vigueur des pigments. L’unique verticale, entre les battants de la porte, n’est pas un axe qui s’impose mais une ouverture qui s’offre. L’intimité et l’attachement constituent le message de cette esquisse : un bien-être en attente.
Pour la Table bleue achevée, et à peu près contemporaine, le peintre a modifié son angle de vue, il a choisi un rabattement beaucoup plus important du plateau de la Table vers le spectateur, dans le déni complet des lois de la perspective, et fait exploser le jardin dans une abstraction solaire. Le même contraste de lumière et de couleur structure la composition, l’intimité est toujours dominante, avec le jeu du soleil vif et de l’ombre douce reliant le dehors avec le dedans.
Le second petit tableau nous apparait plus sage, il ne transgresse pas autant, il est seulement un superbe petit Lépine. Si quelques esquisses ou quelques pochades permettent parfois un élan de liberté qui fait exploser la création, seul cet élan nourrit les autres œuvres.
A bientôt pour de nouvelles couleurs,
Philippe Greig.