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1892-1904 Œuvres de jeunesse

Les premiers pas de Joseph Lépine dans son art sont particulièrement bien documentés : huit peintures datées de 1894 et 1895 et l’inestimable ensemble de quatre carnets d’études fixent nos premières certitudes.


Si Lépine trouve ses premiers conseils auprès du petit maître bordelais Louis Cabié, ses travaux, dessins et tableaux, sont surtout réalisés dans le Midi, dans une première étape autodidacte de son évolution.

Ses quatre carnets d’études, et quelques feuillets séparés, entièrement présentés dans le Catalogue raisonné de ses œuvres graphiques, inscrivent quelques dates et quelques lieux permettant de suivre ses premiers déplacements, et surtout l’évolution de son regard et de son travail au cours de ses trois premières années d’apprentissage.

On perçoit bien l’assiduité de son étude et on mesure la rapidité de ses progrès : il suffit de comparer les vaches de Taussat de septembre 92 et celles du Pays Basque en juillet 94 ; on note aussi sa vive sensibilité au jeu de la lumière avec par exemple un Paysage provençal représenté deux fois, avec inversion totale de l’ensoleillement et de l’ombre.

Le rapprochement des peintures avec les dessins confirme la chronologie et la localisation des œuvres, comme à Villefranche-sur-mer au début de 1894, et on retrouve parfois de véritables études avec les peintures correspondantes, comme c’est le cas à Martigues.


Ses premières peintures, datées de 1894, témoignent d’emblée d’une belle maîtrise : ses compositions subtiles jouent avec les obliques pour creuser l’espace, et sa palette séduit d’emblée par sa luminosité, rehaussée de quelques touches de couleurs très vives. Il est accepté dès l’année suivante au Salon de la Société des Amis des Arts de Bordeaux, et dès son arrivée à Paris au Salon de la Société Nationale des Beaux-Arts.


En 1897 Lépine monte à Paris, il s’installe à Montparnasse et fait son entrée dans l’atelier de Gustave Courtois et dans celui de Louis-Auguste Girardot, deux élèves de Gérôme ; il fréquente aussi l’Académie Julian comme élève libre. Il a tenu à se donner ainsi une formation technique très complète, bien qu’il n’ait jamais imaginé se livrer à des compositions académiques. En 1900, Joseph Lépine se déclare « élève de MM. Cabié, Courtois et Girardot » ; il garde les leçons du métier, mais ni le grand classicisme de Gustave Courtois, ni l’orientalisme à la couleur plus libre de Girardot n’ont entrainé l’inspiration de tels thèmes dans son travail. Longtemps conservées chez deux peintres bordelais proches de Lépine à la fin de sa vie, 33 feuillets de grandes Académies ont été aujourd’hui retrouvés : toutes sont également reproduites dans le Catalogue raisonné des œuvres graphiques, en particulier 16 feuillets datés par Lépine tout au long de l’année 1898. Le Musée de Bordeaux possède une vingtaine de planches de ces Académies.


Un voyage à Venise couronne cette période studieuse. Il en ramène quelques tableaux dont trois sont exposés à Bordeaux en 1901 et 1902. Aucun de ces tableaux n’est ressorti pour l’instant de sa vie secrète en collection privée, et nous devons nous contenter de rêver avec les titres des vieux catalogues : Un Canal, La Piazzetta, Le Grand Canal…


Si l’on pose ici un regard sur son œuvre, régulièrement exposée à Bordeaux à la Société des Amis des Arts et à Paris à la Société Nationale des Beaux-Arts, on constate que Lépine n’a jamais cessé ses envois au moment où il effectuait sa formation académique. Et de 1896 à 1904, il expose pour moitié des peintures de Provence ou Côte d’Azur, complétées par les trois vues ramenées de Venise ; les autres sont des pastels, tous consacrés à des Intérieurs ou des Natures mortes. Nous trouverons des pastels de cette période dans le Catalogue raisonné des Pastels, mais on s’étonne alors de n’avoir retrouvé aucune des peintures de ces quelques années dont l’évocation peut aussi nous faire rêver : la Route d’automne en Provence de 1896, Toulon dans le gris de 1897, la Route en Provence près de Toulon de 1900, La Diligence du Toulonnais ou La Maison au cyprès de 1903, le Port de Marseille de 1904…


Au fur et à mesure de la constitution d’un puzzle, les espaces toujours vides appellent progressivement les pièces restant à placer… Ainsi se sont présentés quelques études de figures ou de Nus beaucoup moins abouties que celles rencontrées quelques années plus tard autour de 1907 à 1910, et que l’on peut imaginer en parallèle avec son travail académique ; quelques natures mortes primitives peuvent aussi accompagner les pastels beaucoup plus nombreux ; et trois tableaux gardant quelques affinités avec les premières œuvres, et partageant une signature absente par ailleurs se présentent aussi par défaut.

La tentation est forte d’imaginer ces tableaux brossés aux alentours de 1900, mais sans avoir d’argument positif pour en apporter actuellement une certitude.


A la toute fin de cette période, un motif du bordelais fait son apparition. L’Eglise de Baurech au toit d’ardoise (bleu), diffère des autres versions aux toits de tuiles rouges, et la couverture à neuf exécutée en 1903 impose cette date pour distinguer les différentes versions du motif selon la couleur du toit… Les premiers tableaux parisiens de Lépine doivent aussi trouver une place ici, ce qui semble être le cas pour sa petite Notre-Dame de Paris sous la neige… Mais le tournant du nouveau siècle n’offre pas une vision claire dans l’évolution picturale de Lépine.

Philippe Greig, septembre 2024

Les amis de Joseph Lépine